Début septembre, Hery Rajaonarimampianina, président de Madagascar, a assisté au Sommet de Beijing du Forum sur la coopération Chine-Afrique. Il a été annoncé lors de cette visite que les deux pays avaient finalisé un accord d'investissement de dix ans conclu entre l'Agence malgache pour le Développement économique et la Promotion des Entreprises et le consortium d'entreprises chinois Taihe Century Investments Developments Corporation. C'est un accord qui entre dans le cadre de l'initiative de l'économie bleue de Madagascar.
Les détails publiés de l'accord d'investissement restent limités. Selon des sources malgaches, le président a négocié l'accord sans consultation de l'administration, du parlement ou de la société civile, et les principaux partenaires de développement du pays, notamment la Banque mondiale et l'UE, n'étaient pas non plus au courant. Pourtant, ce que nous savons à ce jour suggère que l'accord d'investissement pourrait être problématique pour le pays, en particulier pour le secteur de la pêche artisanale.
UNE ÉCONOMIE BLEUE DURABLE?
Selon un communiqué de presse, l'accord de 10 ans s'accompagne d'une promesse d'investissement de la société Taihe pouvant atteindre 2,7 milliards USD. On ne sait pas exactement comment cet argent sera utilisé, bien qu'il soit décrit que les fonds iront à la construction d'infrastructures de pêche, au soutien de la gestion de la pêche et à la lutte contre la pêche INN. Une partie de l'investissement ira également à un projet de reboisement du bambou. En contrepartie, le consortium chinois sera autorisé à déployer jusqu'à 330 navires dans les pêcheries côtières. Le communiqué de presse affirme de manière audacieuse que l’accord verra à terme la création de 10 000 nouveaux emplois.
Un représentant d'un secteur de la pêche artisanale souligne que: «l'État est en train de dépouiller les pêcheurs côtiers de leur raison de vivre». Non seulement il est préoccupé par le nombre de bateaux, mais il souligne également que les 3 600 emplois promis à court terme ne représentent que 3% du nombre de pêcheurs artisanaux qui vivent de ces ressources halieutiques et qui éprouvent déjà de grandes difficultés à joindre les deux bouts. “Amener plusieurs centaines de navires entraînerait la disparition des 100 000 petits pêcheurs de l’île et de leurs familles! Cela va créer du chômage, de l’insécurité et un risque accru de conflits entre les communautés. Dépendant du type de bateaux qui viendraient, il faut craindre une dégradation des habitats des poissons, et une surexploitation. En effet, nous ne disposons que d’un ou deux bateaux garde côtes opérationnels”. Il craint également que cet accord ne profite qu’à une poignée de personnes, la corruption mettant en péril l’avenir de communautés de pêcheurs entières.
La signature de cet accord intervient également au moment où le pays se rapproche des élections présidentielles, en novembre. L'accord peut être une tentative de montrer au pays que le président, qui est candidat à sa réélection, apporte des investissements étrangers indispensables. Madagascar reste l'un des pays les plus pauvres du monde.
Pourtant, la nouvelle de l'accord a déjà suscité des protestations parmi les communautés de pêcheurs. On estime à environ 100 000 le nombre de personnes pratiquant la pêche artisanale dans le pays et la plupart des stocks de poissons ont été lourdement exploités pendant des années, notamment des crustacés et des poissons démersaux de haute valeur, également ciblés par des chalutiers semi-industriels et industriels étrangers. En effet, selon un examen des pêcheries menées par Smartfish en 2014, presque toutes les pêcheries commerciales ont été pleinement exploitées ou sont surexploitées. Des conflits entre les pêcheries artisanales locales et les chalutiers appartenant à des étrangers (et les fermes de crevettes) ont été signalés depuis de nombreuses années.
La question de savoir si les entreprises chinoises amèneront le plein quota de nouveaux bateaux reste incertaine, et personne ne sait avec certitude quels types de navires seront impliqués et quelles espèces seront ciblées. Néanmoins, un accord-cadre autorisant 330 navires représente un apport considérable à la capacité de pêche globale dans le secteur de la pêche.
Il est également peu probable que les 2,7 milliards USD se matérialisent intégralement. Des engagements similaires ont été pris lorsque la Mauritanie a consenti un investissement de 100 millions USD de la société d’État chinoise Poly HonDone en 2011. Ce contrat a été négocié par le président sans consultation, et l’accord d’investissement n’a été publié que par une fuite dans la presse. Bien que la société ait apporté son quota complet de 100 navires en Mauritanie, il n’existe pas de preuves que cet accord a créé de nouveaux emplois pour les locaux ou des investissements massifs dans les pêcheries locales. En effet, les informations sur les activités de la société chinoise restent étroitement surveillées par les autorités mauritaniennes, qui ont également accordé des dérogations pour que l'entreprise exporte du poisson sans la surveillance habituelle du gouvernement. C'est un exemple que ceux qui protestent contre le nouvel accord à Madagascar devraient examiner attentivement.
IMPLICATIONS POUR LES PARTENAIRES DE DÉVELOPPEMENT ET L'UE
Pour les partenaires au développement, qui ont fourni à Madagascar des millions au fil des ans pour améliorer la gestion de la pêche, l'annonce doit être profondément préoccupante. Des événements similaires ont eu lieu dans d'autres pays. Outre la Mauritanie, il y a quelques années, le président du Mozambique a conclu un investissement secret d'un milliard de dollars dans le secteur de la pêche au thon, ce qui a conduit ses partenaires au développement à suspendre temporairement l'aide au pays.
Pour l'UE, la situation à Madagascar est extrêmement sensible. L'aide au développement et les accords commerciaux ont été suspendus en 2009 en raison de la destitution inconstitutionnelle du président élu démocratiquement. Les sanctions ont été levées en 2014 et l'UE a par la suite engagé plus de 500 millions d'euros dans ce pays jusqu'en 2020, ainsi que des programmes de développement de la pêche, notamment Smartfish.
Parallèlement, la Commission européenne entame actuellement des négociations en vue du renouvellement de son accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable avec Madagascar. Le protocole d'accord précédent, couvrant la période 2014-2018, valait plus de 6 millions d'euros, dont près de la moitié était destinée à améliorer la gestion des pêches. Cependant, la finalisation d'un nouveau protocole devra être fondée sur la transparence totale du gouvernement malgache sur ses accords de pêche existants avec d'autres pays et entreprises étrangers.
Il est donc primordial que le gouvernement de Madagascar réponde aux appels à publier tous les détails de ce nouvel accord d'investissement, et que le Parlement, la société civile et les partenaires au développement aient la possibilité d'examiner cet accord avant de pouvoir progresser plus loin. Sans cet engagement, l'idée que les dirigeants du pays appuient une «économie bleue» durable doit être considérée comme douteuse.