La Commission pêche du Parlement européen, lors de sa réunion du 21 janvier 2013, a abordé la question du protocole d’accord de pêche entre l’Union européenne et la Mauritanie, paraphé le 26 juillet 2011.
Ce protocole a été adopté par le Conseil en Décembre 2012, et doit maintenant recevoir le consentement du Parlement européen.
Le débat a mis en avant différents points de vue : alors que la société civile, le secteur et les représentants de la pêche artisanale mauritanienne sont en faveur de la mise en œuvre du protocole, qui prend en compte les besoins en développement du secteur local et des conditions d’exploitation des stocks), le secteur de la pêche de l’UE estime que le protocole n’est pas économiquement rentable pour les flottes et nombre de parlementaires vont dans ce sens, appuyant le fait qu’il n’y a pas d’intérêt à payer autant pour un accord de pêche s’il ne bénéficie pas aux flottes de l’UE.
A l’occasion de ce débat parlementaire, quatre experts de milieux divers ont apporté des précisions sur les enjeux économiques, scientifiques, environnementaux et sociaux que représente ce protocole.
Benoit Caillard, directeur d’Océanic Développement, la compagnie qui a réalisé l’étude d’évaluation ex ante/ex post de l’accord de pêche, publiée en 2012 par la Commission européenne, a d’abord exposé quelques éléments concernant la pêcherie du poulpe en Mauritanie. Les dernières évaluations connues de ce stock datent de 2009 (COPACE) et 2010 (IMROP). Le suivi de la pêcherie s’effectue par l’analyse des données de pêche et des échantillonnages en mer. Ces deux évaluations indiquent que les stocks sont surexploités avec un rapport Biomasse/Rendement maximal durable (B /Brmd) de 85% et effort de pêche/RMD (F/Frmd) de 155%. Il faut ré-évaluer l’état du stock et le RMD, notamment depuis l’arrêt de la pêche par les navires de l’UE en août 2012 et du fait de la progression des captures du segment artisanal. Cette pêcherie est caractérisée par des captures de la pêche artisanale supérieures à celle de la pêche industrielle. Elle est dominée par les intérêts nationaux, qui ont considérablement augmenté avec la multiplication d’usines de farines à Nouadhibou. Un plan d’aménagement est en cours. Il aura pour objectif la restauration du stock et la maximisation des bénéfices pour le pays. Concernant les petits pélagiques, il n’existe pas de plan régional d’aménagement, bien qu’il s’agisse d’un stock partagé Les stocks de sardinelle sont estimés être surexploités, sachant que les sardinelles sont présentes plus près des zones côtières et les chinchards plus au large. Benoit Caillard a présenté quelques éléments du nouveau protocole. Les zones de pêche ont été modifiées, repoussant les chalutiers plus au large Il prévoit un éloignement des zones de pêche plus au large, dans un souci de protéger la pêche artisanale et de limiter les impacts sur l’environnement (surtout liés à la pêche chalutière à la crevette). Le prix des redevances pour les licences a augmenté par rapport au protocole précédent.
Prix captures Redevances Ratio crevettes 7 500 €/T 620€/T 8% Thoniers 1500€/T 35€/T 2% Petits pélagiques 600€/T 123€/T 20%
Ensuite, Gerard Van Baalsfoort, membre de l’association des chalutiers pélagiques congélateurs, a fait une présentation mettant en avant que le nouveau protocole n’était pas économiquement rentable pour les flottes. Il a notamment souligné certaines dispositions qui affecteraient les flottes :
L’augmentation du pourcentage d’équipage mauritanien à embarquer (60%)
L’obligation de débarquer 2% des captures par voyage
2% de marge de tolérance entre le journal de bord et les débarquements (marge trop faible)
Double système de VMS
Obligation de transborder en rade des ports
Augmentation de la redevance pour les licences
Limites des zones de pêche au-delà des 20 mm (avant 13 mm), ce qui limiterait fortement leurs captures de sardinelles Ainsi, même si dans l’absolu ils soutiennent un protocole UE/Mauritanie, celui-ci est mauvais et ils préféreraient qu’il n’y en ait pas.
Sid’ahmed Abeid, Président de la section artisanale de la Fédération nationale des Pêches de Mauritanie, a fait une présentation axée sur l’exploitation du poulpe en Mauritanie (qui devrait être réservé aux flotes locales)en insistant sur le fait que les parties prenantes locales en Mauritanie étaient en faveur de la mise en œuvre du protocole, bien qu’elles souhaiteraient et voir plus de résultats de l’argent dépensé à travers l’accord (Voir discours en PJ).
Enfin, Javier Garat, Président d’Europêche, a exprimé que la négociation entre l’UE et la Mauritanie avait été mauvaise car le résultat n’était pas satisfaisant pour les flottes. En effet, les conditions économiques et techniques de l’accord ne seraient pas viables et il encoure un risque de sous-utilisation de plus ou moins toutes les pêcheries (sauf les thoniers congélateurs et quelques démersaux et palangriers). Cet accord coûte trop cher tant à l’UE qu’aux armateurs, et de nouvelles dispositions devraient être prévues.
A la suite de ces exposés, les parlementaires ont réagi. Nombre d’entre eux sont septiques quant à l’intérêt d’un tel protocole qui coûte cher à l’UE et qui n’est pas rentable pour ses flottes. Certains ont également douté de l’état de surexploitation des stocks de poulpe. Le parlementaire Gabriel Mato Adrover, la rapporteur de la Commission Pêche qui propose de rejeter le protocole, a expliqué les différents s éléments en défaveur du protocole, en estimant que celui-ci serait nuisible tant à l’UE qu’à la Mauritanie.
D’autre membres du parlement ont cependant souligné que ce protocole était raisonnable dans le sens où il appliquait ce que le Parlement avait requis dans sa résolution et que c’était le premier protocole que la Commission signe, qui prend en compte les conditions de la réforme de la PCP (et notamment le fait d’accorder l’accès des flottes seulement s’il existe un surplus préalablement identifié).
Le un des vice-présidents, S. Stevenson a encouragé à voter pour le protocole étant donné qu’il s’agit là de la moins mauvaise option.
La Commission a a été invitée à réagir pour défendre ce protocole, en insistant tout d’abord sur le fait que ce dernier avait été négocié et paraphé conformément au mandat de négociation du Conseil et de la résolution du Parlement, et qu’il est en phase avec les principes de la réforme (clause sur les droits de l’Homme, respect du surplus…). L’article 1.4 est avantageux pour les flottes de l’UE car il leur donne la priorité d’accès, lorsqu’un surplus a été identifié par la Mauritanie. S’agissant du coût de l’accès et du niveau de la contrepartie financière, dans l’ensemble la compensation financière est passée de 76M€ à 70M€, avec une augmentation des possibilités de pêche pour les petits pélagiques (250000T > 300000T), bien qu’il n’y ait plus d’accès aux céphalopodes. Le zonage qui a été délimité devrait permettre un meilleur accès aux espèces à plus de valeur ajoutée. De plus, le protocole inclus une obligation selon laquelle toutes les flottes étrangères pêchant dans la ZEE mauritanienne sont soumises aux mêmes conditions techniques et économiques. Actuellement se serait 36 navires qui auraient une licence ou qui seraient en voie d’en obtenir une, soit 1/3 des navires pouvant pêcher. Une commission mixte est prévue pour le mois de février, ainsi que la réunion du comité scientifique conjoint afin d’organiser l’évaluation des stocks et de discuter de changements minimes au protocole Dans tous les cas, une renégociation du protocole ne serait pas possible et il est dans l’intérêt de tous de l’accepter tel qu’il est, pour deux ans, et de renégocier à cette échéance.
CAPE soutient intégralement qui permet aux flottes artisanales locales d’exploiter elles-mêmes les stocks qu’elle soit capable d’exploiter, en particulier les poulpes et petits pélagiques, et de mieux protéger les écosystèmes côtiers ainsi que les communautés de pêche des destructions causées par les chalutiers.